La Mésaventure de Ferry III
Transcription de l'article de l'Est République du 2 octobre 1936 au moment de l'acquisition du château qui deviendra mairie, consulter aussi l'article thématique : Paul Richard
Un chroniqueur nommé Duplessis, conseiller du duc Charles IV et son procureur général du Barrois, raconte LA MESAVENTURE DU DUC FERRY III, dont le règne s’étend sur la seconde moitié du XIIIe siècle (1251-1303).
Il s’agit d’une compilation historique entreprise, déclare Duplessis, par ordre et commandement de ce prince et qu’il intitule « Chronologie sommaire des Ducs de Lorraine et de Bar »
« Toutes ses belles actions attisèrent contre le duc Frédérick (Ferry) le mépris, la haine et l’indignation des principaux seigneurs er gentilhommes du pays, les quels voyant qu’il prenait garde de trop près à toutes leurs actions et qu’ils n’avaient plus la liberté de continuer leurs vexations, injustices, pilleries, exactions et concussions, résolurent entre eux de détrôner et déleter ledit duc Frédérick de la puissance et autorité souveraine. Mais, n’étant pas assez forts pour se déclarer ouvertement contre lui et usurper la régence et l’autorité souveraine de l’Etat. Ils arrêtèrent entre eux de se servir et user de moyens plus secrets et moins dommageables à eux.
Pour cet effet, ayant pris et épié l’occasion qu’un jour le duc Frédérick était sorti de Nancy, et allé se divertir à la chasse dans les bois de Haye et forêts voisines , ils l’attendirent son retour , et quelques-uns des conjurés et confédérés qui s’étaient mis expressément à sa suite, ayant amusé ses principaux officiers, serviteurs et domestiques, et les éloignant du duc Frédérick leur maitre, ils firent en sorte que le maitre, s’étant trouvé tout seul et sans suite à la descente de la côte de Laxou, les autres qui s’étaient embusqués à cet effet se saisirent de sa personne, lui bandèrent les yeux, le ramenèrent aux bois par des chemins inconnus. Ils l’y retinrent pendant quelques heures et, après lui avoir fait faire plusieurs tours dans les bois, tantôt à droite, tantôt à gauche, ils le conduisirent enfin nuitamment dans le château de Maxéville ou Marséville, qui n’est qu’à un quart de lieue de Nancy, où ils l’enfermèrent dans une tour, en laquelle ils le détinrent pendant cinq ans entiers, sans voir le soleil ni la lune, comme l’on dit, n’ayant d’autre clarté que celle qui entrait en ladite tour par une petite lucarne ou trou, qui était à côté d’icelle par le haut, et sans autre secours, assistance ou consolation que d’un misérable valet ou servante qui lui apportait de temps en temps à boire et à manger par une fenêtre borgne ou petit trou qui était au travers de la seconde porte de ladite tour.
Pendant tout ce temps-là le bon duc Frédérick n’eut d’autre recours qu’à Dieu, à la Vierge, sa sainte Mère, et à tous les saints, particulièrement au glorieux Saint-Nicolas-du-Port.
D’autre côté la duchesse, son épouse, les princes, ses enfants, et tous ses sujets de Lorraine étaient en grande consternation, pleurs et gémissements de la perte de leur bon prince. Ce n’était dans Nancy et par toute la Lorraine que des jeûnes, prières et oraisons publiques, processions et pèlerinages continuels, tantôt à Saint-Nicolas-du-Port, tantôt aux autres lieux saints où pour lors se faisaient des miracles, pour demander, obtenir et impétrer quelque aliègement à leurs maux qui s’augmentaient de jour en jour, par les cruautés et tyrannies de ces gentilhommes perfides et rebelles qui tenaient leur prince dans une si rude et étroite prison.
Enfin au bout de cinq ans, par une espèce de miracle, la tour où il était enfermé menaçant ruine par le défaut d’entretien de la couverture, le seigneur de Maxéville, qui était le chef et un des premiers de la conjuration, un des plus puissants de ces déloyaux vassaux, et chez lequel le duc était détenu prisonnier, fut obligé de faire recouvrir la tour à neuf, sans en parler à ses confédérés, ni faire transférer ailleurs son prisonnier ou se précautionner pour la garde et sûreté de sa personne.
Dieu le permettant ainsi pour rendre la délivrance du Duc plus glorieusement, il y avait employé un ardoisier ou couvreur de toits à Nancy, pendant qu’il travaillait au haut de cette tour, il commença par manière de divertissement et pour se récréer et désennuyer en quelque façon pendant son travail à chanter une chanson ou rondeau que l’on avait composé sur la perte et l’absence du bonduc Frédérick, lequel écoutant cette chanson, fut fort surpris, croyant qu’il était bien éloigné de Nancy et qu’on l’avait conduit et transféré dans quelque lieu secret et fort écarté de la Lorraine, ne pouvant s’imagine, après tous les tours et détours qu’on lui avait fait faire, qu’il fût près de la ville capitale de ses Etats.
Et ne sachant en quel endroit ou territoire il était, il demanda à ce couvreur d’où il était natif, comment s’appelait le château ou tour où il était détenu, s’il avait connu le Duc duquel il chantait la chanson, ce que ses sujets disaient de lui, qui régnait ou régentait pour lors en Lorraine et s’il reconnaissait bien le Duc duquel il parlait, s’il le voyait.
Ce couvreur lui parla et lui répondit fort nettement sur toutes les questions. Le Duc lui ayant demandé s’il était bien affectionné à son prince et si lui qui lui parlait pouvait lui confier un secret de grande importance, ce couvreur lui ayant promis de ne rien révéler de sn secret, le duc Frédérick se confiant à sa bonne foi, se découvrit à ce couvreur ; de quoi ayant été surpris de joie, quitta son ouvrage, courut en toute diligence à Nancy, et fut avertir la duchesse et toute la Cour de cette heureuse découverte.
Les vieux manuscrits de Lorraine portent que le seigneur de Maxéville, s’étant aperçu de l’absence et du retour si prompt, si subit de ce couvreur de Nancy, il monta à cheval, et que, l’ayant atteint en rue, il le tua sur la place sans qu’il pût être secouru.
Cette nouvelle ne fut pas plutôt divulguée à Nancy qu’à l’instant même les bourgeois sortirent en armes, vinrent attaquer et assiéger le château de Maxéville, le prirent, le rasèrent de fond en comble et par ce moyen délivrèrent le duc Frédérick de cette rude et affreuse prison. (Le geôlier de Ferry III s’appelait Androuin ou Adrian des Amoises, mort en l’an 1319).
Suivant les historiens, le prisonnier de Maxéville était le fils de Mathieu II, auquel il succéda en 1251.Il mourut en 1303, laissant pour successeur Thibaut II. Il avait pour épouse Marguerite, fille de Thibaut IV, roi de Navarre et comte de Champagne, ce prince poète qui fit même, selon Bossuet, pour la reine Blanche, mère de Saint Louis, » des vers tendres qu’il eut la folie de publier »
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